Laisser être et rendre puissant

Une recension de Clara Degiovanni, publié le

Dans son nouveau traité, qui prolonge la part la plus spéculative et métaphysique de son œuvre, Tristan Garcia part d’un constat : personne n’est jamais d’accord. Pire, personne n’est d’accord sur la forme de nos désaccords. Pire encore, nous ne sommes même pas capables de nous entendre sur ces questions simples : qu’est-ce qu’il y a ? De quoi le monde est-il fait ? Bref, nous n’arrivons ni à comprendre le monde, ni à nous comprendre entre nous. Sur le plan métaphysique, mais aussi politique et éthique, le terrain est miné ; la guerre est partout. La pensée pourrait nous aider à clarifier et à ordonner les choses. Mais, même sur cet aspect, nous ne sommes pas d’accord sur la méthode. D’une part, il y a une pensée du « champ », qui cherche à repérer les différentes forces en présence sans prendre parti, et, de l’autre, une pensée du « camp », prenant position, militant pour une cause. Le problème est donc aussi méthodologique. Comment parvenir alors à nous entendre ? Peut-on débusquer quelque chose de commun, qui nous relie tous au milieu de ce chaos informe et désespérant ? Selon Garcia, il existe au fond un lien, un « universel minimum et tenable » qui nous relie tous. C’est ce que le philosophe appelle « le commun distinct ». Pour trouver ce lien, il entreprend « une catabase », c’est-à-dire une véritable descente aux enfers. Il plonge – patiemment et profondément – dans les méandres touffus et exigeants de la pensée spéculative. Au terme de son périple, le philosophe parvient à une réponse déroutante : ce « commun distinct », c’est le possible. Dans cette vaste odyssée métaphysique, le premier mouvement consiste à « délivrer » les possibles, à leur donner un maximum de liberté, sans les juger ni les hiérarchiser. Mais, prévient Garcia, ce moment « libéral » ne suffit pas. Quand je « laisse être » tous mes possibles, je deviens impuissant. Par exemple, lorsque je commence à imaginer toutes mes vies rêvées – médecin, astronaute ou avocate –, je finis par ne rien faire. Par désir de tout être, je ne deviens personne : je stagne dans l’impuissance. Tout l’enjeu de cette aventure métaphysique aux accents épiques sera alors de « laisser être » chaque chose… Sans détruire sa puissance, en laissant exister ce qui se peut.

Sur le même sujet
Le fil
1 min
La Rédaction

Tristan Garcia vient de publier deux sommes : un essai, Laisser être et rendre puissant (PUF), et un roman, Vie contre vie …

Tristan Garcia : “La chance, c’est ce qui résiste”







Article
13 min
Sven Ortoli

Pour le philosophe Tristan Garcia, la série Game of Thrones dépeint un monde quasi laïcisé, semblable au nôtre, mais dans lequel dieux et dragons…

Tristan Garcia : sous le regard des dragons