La fin de l'hospitalité

Une recension de Victorine de Oliveira, publié le

Même après leur « évacuation », les migrants entassés à Calais dans l’espoir de passer la frontière, ou sous le métro Stalingrad en attendant d’obtenir un statut de réfugié, posent avec urgence la question de l’hospitalité. « Savons-nous encore accueillir ? », s’interrogent les deux auteurs de cet ouvrage entre enquête de terrain et essai philosophique. À voir les barbelés se hisser aux frontières, l’Union européenne obligée d’établir des « quotas » que certains pays membres refusent d’appliquer, la construction de murs revenir à la mode, il semblerait que « l’idée d’hospitalité » se soit bel et bien évanouie. Du moins pour les États. En réaction, quand « l’hospitalité d’État » décline, une « éthique de l’hospitalité » se développe chez les particuliers, à titre individuel ou au sein de collectifs. Les initiatives prennent des formes variées : distribution de nourriture, aide au transport, assistance juridique… Construisent-elles une force politique ? La valeur privée peut-elle se politiser et palier « la défaite de l’hospitalité politique » ?

L’État moderne tel que construit par les Lumières se fonde pourtant sur l’idée de circulation : des biens, des idées et des personnes. Dans Vers la paix perpétuelle, Kant propose d’établir un droit à l’hospitalité pour toute personne dont la vie serait menacée dans son pays d’origine. Plus que de la philanthropie, ce droit est une garantie d’équilibre entre les nations, de paix : « l’hospitalité (hospitalitas) signifie le droit pour l’étranger, à son arrivée sur le territoire d’un autre, de ne pas être traité par lui en ennemi. On peut le renvoyer, si cela n’implique pas sa perte, mais aussi longtemps qu’il se tient paisiblement à sa place, on ne peut pas l’aborder en ennemi. »

La méthode de Guillaume Le Blanc et Fabienne Brugère, qui reprennent  l’idée foucaldienne de « reportage d’idées », est pertinente. Leur réflexion s’ancre dans les visites de Lesbos, Calais, Lampedusa. Mais peut-être manque-t-elle de peu son objectif s’il s’agissait de penser une hospitalité politique. La notion aurait gagné à dépasser la seule question migratoire pour interroger plus largement le care, entre sollicitude privée et action publique. L’étranger, l’étrangeté, n’est pas qu’une question de frontières géographiques…

 

Pour aller plus loin : Clémentine V. Baron (propos recueillis par), Les oiseaux migrateurs – Témoignages de migrants, L’harmattan, 2016

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