Jürgen Habermas. Une biographie

Une recension de Philippe Chevallier, publié le

Qu’est-ce qu’une vie intéressante ? Celle du philosophe Jürgen Habermas, âgé aujourd’hui de 88 ans, fut raisonnable et sans secret : l’engagement nazi d’un père distant ou cette malformation de la lèvre qui lui fit essuyer des quolibets dans la cour de récréation peuvent respectivement expliquer son attachement à la démocratie et sa sensibilité à toute forme d’exclusion. Mais la pensée d’Habermas, toute dédiée à l’éthique de la discussion, semble émaner d’une vie transparente à elle-même, reflet d’abord d’une Allemagne année zéro qui s’interroge sur les conditions de sa réinvention démocratique. Alors pourquoi ce pavé de plus de 600 pages, consacré à l’existence si « conventionnelle » de l’auteur de la Théorie de l’agir communicationnel (1981), se révèle-t-il si passionnant ? Sans doute parce que cette vie-œuvre est à sa manière une odyssée de la raison : de l’École de Francfort, qui développa une critique aiguë de la rationalité technique, à la philosophie du langage, qui attira l’attention sur les formes de vie toujours particulières où le sens advient. Pour modeste qu’elle soit chez Habermas, la raison n’en est pas moins passionnément défendue, contre certains de ses homologues postmodernes (Rorty, Derrida, Sloterdijk). Cette biographie nous rappelle surtout que Habermas a toujours su quitter son travail théorique pour intervenir dans l’espace public, avec courage et conviction, en particulier durant les Années de plomb qui pèseront longtemps en Allemagne sur une vie universitaire conflictuelle et dont il fit à plusieurs reprises les frais.

Sont aussi réédités de Habermas chez Gallimard les deux tomes de Parcours, dont les traductions ont été révisées et qui contiennent des inédits en français.

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