Etre et sexuation

Une recension de Martin Duru, publié le

1. Le sexe de l’être…

Certaines métaphysiques viennent-elles de Mars et d’autres de Vénus ? Oui, soutient Mehdi Belhaj Kacem (dit MBK), l’ontologie – le discours sur l’être – peut être sexuée. Une pensée masculine promeut une vision immuable et statique de ce qui est, tandis qu’une métaphysique féminine insiste sur ses métamorphoses incessantes. Soit deux exemples : Badiou – ex-maître de MBK – est un philosophe viril, car, chez lui, l’être est inerte, impassible, seulement fendu par un événement foudroyant. A contrario, Deleuze développe une conception « rapide » de l’être, tourbillon de devenirs soudain figé par un événement « lent » ; c’est un métaphysicien féminin. Un prisme iconoclaste, donc, pour revisiter l’histoire de la pensée.

 

2. … et l’être du sexe

MBK ne se contente pas de « sexuer » les ontologies ; il élabore une métaphysique de la sexuation, de la constitution du genre. Cette notion relève de l’identification à un pôle symbolique (masculin ou féminin) et se distingue de l’appartenance biologique à un sexe. Selon le philosophe, la position féminine – et le type de libido qui l’accompagne – se différencie radicalement de la masculine ; elle se définit par « l’identité du désir et de la jouissance ». Tout se fonde sur le modèle du « rut » chez les mammifères (où la femelle entre en transe avant le coït, visée ultime du mâle) dont la sexualité humaine n’est qu’une « parodie », une imitation sophistiquée. Bref, chassez le naturel (par le symbolique), il revient au galop.

 

3. Un nouveau féminisme ?

La cible est clairement le « phallo(go)centrisme » – terme forgé par Derrida pour désigner le primat de la parole masculine dans la métaphysique occidentale. Les relents de « machisme transcendantal » sont stigmatisés, de Lacan à Badiou. L’argument de MBK pour (re)valoriser le féminin ? Selon lui, il subvertit les oppositions traditionnelles en réalisant l’identité de ce que le masculin sépare violemment : l’être et l’apparaître, la vérité et le mensonge… Las, les clichés ont la vie dure : le pop philosophe verse souvent dans des considérations générales sur l’homme insatiable prédateur et la femme bavarde, de sensibilité artistique, plus proche de la nature car enfantant, etc. L’arroseur en est presque arrosé. On l’aura compris : un livre clivant

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Martin Duru

Pour Mehdi Belhaj Kacem, la lecture d’Alain Badiou a été un choc. Aujourd’hui, la rupture avec celui qui fut son maître à penser est consommée. Une rupture en forme d’« infidélité » qui résonne comme un événement.