De la compréhension musicale à la métaphysique de l’instant

Une recension de Octave Larmagnac-Matheron, publié le

« En tout métaphysicien d’un certain type – poète, philosophe ou romancier – il y a un compositeur », écrivait Rachel Bespaloff dans Cheminement et Carrefours (1938). Cette conviction d’une intime liaison de la musique et de la pensée est un fil directeur de la trajectoire de la philosophe née en Bulgarie, qui commença d’ailleurs par enseigner la danse avant d’entrer en dialogue avec Gabriel Marcel, Jean Wahl ou encore Henri Bergson. C’est tout l’intérêt de ce recueil d’articles jusqu’ici introuvables édité et richement documenté par Olivier Salazar-Ferrer que de donner à entendre cette trame mélodique et de la réinscrire dans les discussions sur la musique qui essaiment au sein du champ philosophique dans la première moitié du XXe siècle. « De quels sortilèges dispose donc la musique pour évoquer les phénomènes les plus subtils et les plus complets de notre vie intérieure ? » interroge Bespaloff. À ses yeux, la musique arrache l’homme à la fragmentation géométrique du temps en une succession d’instants hétérogènes. « La courbe d’une mélodie, le dessein d’une formule rythmique nous donnent une idée adéquate des figures […] qu’assume notre durée » intérieure. « C’est de cet arrachement au temps que naît l’instant où l’éternel n’apparaît nullement comme l’immuable, mais comme l’éternellement neuf. » Un instant « métaphysique » radicalement distinct de l’instant géométrique, une note « indécomposable » où passé, présent et avenir se rejoignent et sont reconduits à leur commune source vive : le « jaillissement capté de la primordialité sauvegardée », la création éternellement jeune de la conscience. « La musique […] extrait du passé son essence impérissable et dispute ainsi notre être à la mort ; mais elle ne se borne pas à libérer le potentiel d’énergie intacte que contient ce passé, elle projette jusque dans l’avenir la dynamique de notre existence. » À l’homme écartelé entre le poids d’un passé mort et l’annonce d’un futur évanescent, la musique substitue une dilatation de l’instant, qui est aussi réconciliation de l’homme avec lui-même, résorption de son éclatement. « L’art musical transcende à la fois la subjectivité du Moi et l’objectivité du non-Moi. Le dualisme du sujet et de l’objet dont la pensée n’arrive jamais à triompher entièrement, il le supprime par un acte de création synthétique. En lui, le Moi parvient à se connaître sans se diviser, et à reconstruire selon une dimension nouvelle la courbe de son unité recouvrée.

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