De la certitude

Une recension de Sandra Laugier, publié le

De quoi puis-je être vraiment certain ? Que 2 et 2 font 4 ? Que la terre est ronde ? Que je vais mourir un jour ? « Je sais cela comme je sais que je m’appelle L. W. » De la certitude, dont une nouvelle traduction paraît chez Gallimard, est, en apparence, l’ouvrage le plus accessible de Ludwig Wittgenstein : le philosophe, à la veille de sa mort en 1951, semble revenir à des questions classiques de théorie de la connaissance, et définir à partir de l’examen de nos usages ordinaires des mots « savoir », « croire », « être certain », les certitudes nécessaires à toute pensée et toute action. De la certitude serait dans cette perspective l’ultime réponse au scepticisme : il n’y a pas de sens à douter, car le langage et la connaissance reposent sur des éléments de croyance instinctive, pratique, dont nous ne pouvons nous passer et nous « contentons » naturellement. Notre vie même, notre langage et nos actions s’ancrent dans un ensemble de certitudes vitales, qui ne peuvent pas plus être réfutées que vérifiées, et sont des faits centraux dans notre « système de référence », auquel nous tenons et qui rendent possibles nos interrogations.

Ces certitudes n’ont pourtant rien de rassurant. Une lecture plus attentive de l’ouvrage en laisse entendre une inquiétude supplémentaire. Wittgenstein suggère que ce recours à la « roche dure » de nos certitudes n’est pas la réfutation du scepticisme. Car, là où il n’y a pas à douter, justement, il n’y a pas de sens à parler de savoir. Or c’est pour qui veut être sûr (comme Othello, cherchant des preuves de la trahison de Desdémone) que les ennuis commencent. La menace sceptique, plutôt que d’être évitée, éloignée, doit être considérée pour ce qu’elle est : elle ne porte pas sur la connaissance mais sur la reconnaissance, l’intimité et la proximité avec le monde et les autres. « Comment apprend-on à reconnaître son propre état de savoir ? »

Telle est la radicalité et l’originalité de ce texte : la question n’est même plus d’assurer la connaissance du monde – même sur des points fixes immanents ou pour reprendre une image favorite des commentateurs, des gonds qui permettent à la porte de « tourner ». Il ne s’agit pas de pouvoir savoir, mais de vouloir savoir. Comment savoir que je sais ou pense quoi que ce soit ? Cette difficulté finale, celle de l’expression subjective du commun, est bien celle de De la certitude : « “Je sais” n’a de sens que lorsque c’est une personne qui l’exprime. »

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