Croire aux fauves

Une recension de Catherine Portevin, publié le

Elle a 33 ans, elle est anthropologue. Comme si sa vie en dépendait, elle cherche loin d’elle, auprès des peuples des confins gelés (les Gwich’in d’Alsaka, les Évènes du Kamtchatka), les multiples manières de composer les mondes et les identités. Sa vie, effectivement, en dépend. Le 25 août 2015, Nastassja Martin marche seule et vite, « sous [s]a forme fauve », dans une forêt du Kamtchatka lorsqu’elle est attaquée par un ours. Elle croise son regard, il la défigure, elle se défend, il ne la tue pas. S’en suivent des mois d’hôpital, en Russie puis en France, et une lente métamorphose dont ce récit tendu et incandescent donne la trace. Daria, Andreï et le vieux Vassia, ses amis évènes, savent vivre avec les âmes sauvages. Ils avaient surnommé « matukha » (l’ourse) la jeune anthropologue qui cherchait à comprendre l’animisme. À présent, elle est pour eux « miedka », moitié-femme moitié-ours. Qu’est-ce que cela signifie pour elle, intimement, physiquement, intellectuellement ? Son corps, son visage, son regard, son âme même, en savent-ils plus que son esprit formé à ne pas se laisser prendre « au piège de la fascination » ? Il faudra à l’anthropologue un nouveau voyage sur les lieux du « baiser de l’ours », un an plus tard, pour revenir vivante de cette rencontre archaïque.

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