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Le nouvel opus de Tristan Garcia – intitulé 7, comme jadis le film de David Fincher – est à la fois brillant et déconcertant. Certains vont adorer, d’autres auront du mal. Donnons-leur une clé de lecture. Tristan Garcia est romancier mais aussi philosophe. Il a publié un ambitieux traité de métaphysique à l’âge de 29 ans, Forme et Objet (PUF, 2010). Sa première phrase : « Notre époque est peut-être celle d’une épidémie des choses. » Un peu plus loin, cette mise en garde : « Celui qui attend d’une philosophie qu’elle l’informe sur… la conscience ou plus largement la subjectivité, le moi et le nous, doit être prévenu : il sera déçu. » De son propre aveu, Garcia n’est pas psychologue. Les sentiments du sujet humain, ses émotions ne l’intéressent guère. En revanche, il se passionne pour les choses.

« Celui qui attend d’une philosophie qu’elle l’informe sur… la conscience ou plus largement la subjectivité, le moi et le nous, doit être prévenu: il sera déçu »

Ainsi, les nombreux personnages qu’on rencontre dans 7 n’ont guère d’intériorité. Ils n’ont pas de voix singulières. La première histoire, Hélicéenne, est racontée par un vendeur de rues, qui pourtant ne parle pas du tout comme le fils d’un « modeste manutentionnaire algérien » grandi à Garges-lès-Gonesse. Voilà comme il décrit des passants : « j’avais le sentiment bizarre d’avoir affaire à un couple de jeunes gens en pleine santé grimés en vieillards de commedia dell’arte à l’aide d’un faux nez de farces et attrapes, d’une perruque d’occasion et d’une épaisse couche de fond de teint gris. » Quel vendeur à la sauvette s’exprimerait ainsi ? Pourtant, le même récit contient une trouvaille narrative géniale : il y est question d’une nouvelle drogue qui permet de se retrouver mentalement à un âge antérieur, par exemple à 22 ou à 17 ans.

7 rompt bien des codes romanesques : si les personnages n’ont pas de psychologie, si leur voix est blanche, c’est volontaire, cela fait partie d’un projet philosophique plus ample, chaque récit donnant l’occasion de découvrir d’impressionnantes collections de choses. Qu’il fasse une liste des drogues à la mode (p. 23), des composés chimiques hallucinogènes (p. 34), de la scène rock de l’année 1984 (p. 74) ou des inscriptions sur les portes des toilettes de bars (p. 256), Garcia est d’une précision, d’une capacité de classement et d’interprétation hors du commun. Aussi, ne soyez pas déçus de ne pas rencontrer des humains dans ce livre : car vous y verrez proliférer, jusqu’à l’épidémie, les objets les plus bizarres de notre époque, des mp3 aux ovnis.

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