Trois milliards de miracles
Chaque catastrophe environnementale rouvre la perspective d’un monde sans animaux. Un désastre écologique mais aussi spirituel tant les bêtes irriguent notre imaginaire.
Un nouvel incendie vient de ravager l’île Fraser, à l’est de l’Australie. Il s’est propagé moins brutalement que les mégafeux de l’année dernière et a pu être maîtrisé, mais l’équilibre du lieu est atteint et la survie des forêts, des animaux – notamment des chiens dingos –, compromise. Le bilan des feux de l’an dernier est affolant : une trentaine de morts humains, sans compter les blessés, dix-sept millions d’hectares de terre brûlée et trois milliards d’animaux morts dans les flammes, asphyxiés ou dans l’incapacité de survivre après la destruction de leur territoire.
Trois milliards d’animaux morts, toutes espèces confondues. La population humaine mondiale des années 1960. Comment se représenter ce chiffre ? Comment pleurer l’étendue de la perte ? Une possibilité, bien sûr, est de compter.
L’autre est d’éprouver le manque. D’abord, le manque d’animaux en ville, un manque que les citadins connaissent bien, car mis à part des chats, des chiens et quelques oiseaux – essentiellement des pigeons et des corbeaux ayant, semble-t-il, chassé les moineaux qui s’invitaient sur nos fenêtres il y a quelques années encore –, mis à part les rats dans les bosquets des parcs et les souterrains du métro, des animaux, nous n’en voyons pas. J’ai toujours en mémoire les récits de mes deux grands-mères, la Sicilienne et l’Alsacienne, me parlant d’ânes, de chevaux, de coqs et même de chats sauvages. La nostalgie d’époques que nous n’avons pas vécues est forcément trompeuse, et pourtant, la cohabitation (pas toujours paisible) avec les autres espèces n’est pas seulement le marqueur de notre appartenance aux écosystèmes que nous habitons et modifions, c’est aussi la source de notre esprit poétique et mystique.
Sans animaux, pas de dieux thériomorphes, pas de religion égyptienne, pas de Horus ni d’Anubis. Pas de mythologie grecque, pas de métamorphoses de Zeus, pas de centaures ni de Minotaure. Pas de loup pour saint François, pas de lion pour saint Jérôme, pas de Légende dorée. Pas de bon pasteur sans brebis, pas de paraboles – ou alors réduites à peau de chagrin. Pas de mythes sans animaux. Pas de sacré sans mythes et pas de psychanalyse non plus. Sans compter les technologies inspirées du vol des oiseaux, de la plasticité du poulpe ou du fil de l’araignée… Le jour où nous aurons oublié le visage des animaux, la planète sera peut-être à l’agonie, mais notre esprit sera mort depuis longtemps. Car un esprit incapable de concevoir des légendes est-il encore vivant ?
Ce lien vital entre les animaux et l’imaginaire, les enfants l’éprouvent naturellement quand un chat grimpe sur leurs genoux ou qu’un chien décide de les suivre. Comment l’animal choisit-il celui auquel il s’attache ? Jusqu’à quel point le comprend-il ? Même si l’éthologie répond en partie à ces questions, elles n’en restent pas moins intimes, dans la mesure où elles questionnent le rapport que nous entretenons avec notre intuition – autant dire notre vie secrète. Reconnaître le lien qui nous unit à un animal, c’est accepter que le langage ne puisse jamais nous en fournir la preuve. Un acte de foi, en quelque sorte, un pari sur le désir de connaître l’autre. Avec l’inconfort qui l’accompagne et la souffrance du manque de preuves. Mais c’est bien de ce manque que se nourrissent les légendes et les découvertes. Trois milliards d’animaux brûlés, trois milliards de miracles disparus.
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