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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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La Première Action de grâce (ou Thanksgiving) en 1621 (les Pères pèlerins et les Amérindiens partagent un repas), tableau de 1915 de Jean Leon Gerome Ferris (1863-1930). Cleveland, Ohio : The Foundation Press, Inc., c. 1932. © Library of Congress

Jour de fête

Thanksgiving : la gratitude métaphysique

Octave Larmagnac-Matheron publié le 25 novembre 2021 4 min

Thanksgiving, c’est jeudi ! Cette fête américaine et ses petits rituels – se réunir pour partager une dinde, célébrer les petits bonheurs de l’année écoulée, remercier ses amis d’être présents – nous est bien peu familière en Europe, si ce n’est par l’intermédiaire de films et de séries (vous avez sûrement vu quelques épisodes marquants de Friends, qui célèbrent l’événement). Mais elle est extrêmement populaire outre-Atlantique, où elle est née au début du XVIIe siècle. 

Que fête-t-on exactement ce jour de l’année ? Éléments de réponse avec le philosophe Henry David Thoreau. 

 

  • Thanksgiving est d’abord une fête des moissons, née aux XVIIe siècle parmi les premiers colons anglais en Amérique. En 1620, les Pères pèlerins débarquent à bord du Mayflower, mais les débuts sont difficiles. La moitié d’entre eux meurent, en particulier du scorbut. La petite colonie ne doit sa survie qu’à l’aide de deux Amérindiens, Squanto et Samoset de la tribu des Wampanoags, qui leur offrent de la nourriture, leur apprennent à cultiver le maïs et à chasser les animaux locaux. L’année suivante, les survivants célèbrent la première récolte, et invitent le chef des Wampanoags, Massasoit, et quelques dizaines de ses hommes à partager un repas de fête (où les convives consomment, en particulier, des dindes). 
  • Il existe une version moins légère de cette histoire. Une grande partie des Amérindiens considère qu’en dépit de la bonne entente de ce premier repas, Thanksgiving est un « Jour national de lamentation » qui inaugure une période génocidaire visant leurs peuples. L’essayiste Benjamin Whitmer affirme d’ailleurs, dans la revue française America en 2018, que Thankgsiving commémore en réalité l’extermination de la tribu des Pequots : « Le lendemain du Mystic massacre, le gouverneur William Bradford décréta “une journée d'actions de grâce dans toutes nos églises pour célébrer notre victoire sur les Pequots’” », écrit-il notamment. 
  • L’incertitude demeure quant aux origines historiques de la célébration. En revanche, son sens fait l’objet d’une relative unanimité : il s’agit, chaque année, de remercier (thanks), c’est-à-dire de « rendre grâce » pour tous les bienfaits sans contrepartie que l’individu a reçus tout au long de l’année, dans une logique de don et de contre-don. Le don, comme le montre l’anthropologie, n’est un échange purement économique : il n’attend pas une contrepartie, une réciprocité immédiate ; et surtout, il ne vise pas, pour celui qui l’initie, à satisfaire un besoin, à assurer son bien-être, mais à créer du lien social. Le geste de donner compte plus que l’objet donné. 
  • Les Amérindiens ont sacrifié une partie de leurs biens pour aider les colons, sans que les colons leur donnent immédiatement quelque chose en retour. Bien sûr, les colons en avaient tout particulièrement besoin, mais du côté des Wampanoags, le don était sans doute d’abord un acte de socialisation. En effet, le don crée une relation sur le long terme : une relation de réciprocité différée dans le temps. Le receveur ressent l’obligation de rendre à son donneur un contre-don (plus important que le don initial, comme pour compenser le passage du temps). Ce qu’ont fait les colons l’année suivante, en sacrifiant rituellement une partie de leur première récolte lors d’un grand banquet. 
  • L’ambiguïté de Thanksgiving tient à ce que le destinataire du remerciement, de l’action de grâce, est moins un humain ou un groupe d’humains qu’une puissance mystérieuse et sacrée. La plupart des Américains remercient Dieu, ou le destin, ou le hasard, ou même la nature pour une grâce gratuite qu’elle leur a conféré : les succès, les rencontres, en un sens la vie même. Thanksgiving rappelle que notre vie n’est pas proprement la nôtre, qu’elle nous vient de l’extérieur – que si nous devons bien des choses à nous-mêmes, nous devons le simple fait d’être à autre chose que nous. Notre vie serait donc sous-tendue par une grâce qui se situe au-delà de nos propres pouvoirs.
  • Henry David Thoreau le dit dans Friends and Followers (1856) : « Je suis reconnaissant de ce que je suis et de ce que j'ai. Mon Thanksgiving est perpétuel. Il est surprenant de voir à quel point l’on peut se satisfaire d’un rien indéfini – du simple sentiment de l’existence. […] Mon souffle est doux, pour moi. Comme je ris quand je pense à mes richesses indéfinies et vagues. Aucune ruée sur ma banque ne peut m’en dépouiller, car ma richesse n'est pas possession mais jouissance. » Le passage est en partie ambigu : difficile de déterminer s’il parle, ici, de la fête ou du sens littéral du mot, « gratitude ». Les deux fonctionnent, et les deux coexistent certainement : Thanksgiving est une occasion pour prêter l’oreille au sentiment métaphysique de gratitude dans lequel s’enracine notre existence. 
  • Là où la logique, humaine, du don-contre-don implique de rendre – et de rendre toujours davantage, dans un mouvement sans cesse croissant –, comment pourrions-nous rendre grâce de cette grâce qu’est le fait même de vivre ? Nous ne pouvons rien rendre, rien sacrifier de cette donnée fondamentale qu’est notre propre existence. La réponse de Thoreau tient, au fond, en un mot : la joie. Rendre grâce, en son sens métaphysique, consiste à se réjouir de la vie elle-même, sans se laisser atteindre par les ombres qui obscurcissent nos vies individuelles. Se réjouir sans but, en une pure dépense, une pure dilapidation de cette énergie souterraine qui nous anime. 
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