Sandra Laugier : “‘Game of Thrones’ est une série qui met les femmes à l’honneur”
Du nain Tyrion à Jon Snow, le bâtard méprisé, les figures reléguées ou marginales ne manquent pas dans Game of Thrones. Nombre d’entre elles parviennent à faire de leur différence assumée une force afin de mener une existence plus libre. À l’image de fortes individualités féminines comme Arya ou Brienne, qui déconstruisent les identités de genre. La philosophe Sandra Laugier met en exergue un souffle démocratique qui imprègne la série.
Y a-t-il dans la série Game of Thrones une forme de glorification des marginaux ?
Sandra Laugier : En apparence, ce n’est pas du tout le sujet de la série, qui est centrée sur la lutte des prétendants au trône – notamment la famille du beau personnage de Ned Stark : sa femme, ses enfants et lui ont plutôt un caractère d’exceptionnalité, voire d’élection, que de marginalité – même son « bâtard » (qui n’en est pas un), Jon Snow. Ce qui est plutôt suggéré, c’est donc l’idée d’une aristocratie. Même constat, exacerbé, chez les Lannister. La relation incestueuse entre Jaime et Cersei souligne cette idée d’une noblesse élitiste, fermée sur elle-même. Pourtant, c’est dans ces familles qu’émergent d’emblée des personnages marginaux : Bran, qui se retrouve handicapé suite à son accident (une tentative de meurtre) dans le premier épisode, et bien sûr Tyrion Lannister. L’acteur Peter Dinklage, qui a tenu d’abord une place secondaire, est vite arrivé en tête du générique, ce qui est sans exemple pour un acteur de petite taille. Plus généralement, on ne peut que souligner la diversité sociale des personnages de la série : les Sauvageonnes Ygrid et Osha, d’une intelligence et d’un courage exceptionnels, la prostituée Shae, le modeste Samwell. Game of Thrones ne glorifie pas les marginaux mais transforme l’idée même de gloire et de noblesse, donnant à des personnes ordinaires des capacités extraordinaires et nous attachant à eux comme aux plus « grands ».
Les femmes, à Westeros, paraissent souvent dominées et soumises aux codes stricts de la féminité. Cependant, deux personnages essentiels s’écartent de ces normes : Arya et Brienne. En quoi leurs attitudes subversives se ressemblent-elles et en quoi diffèrent-elles ?
Les femmes de Westeros sont en effet souvent des beautés, incarnées par des stars (au sens anglais : on les contemple, on est éclairé par elles). Dire qu’elles sont dominées n’est pas aussi simple, car ce sont souvent des femmes fortes, de pouvoir – que ce soit Catelyn qui n’est pas une mère de famille traditionnelle, ou Daenerys qui devient une redoutable guerrière. Game of Thrones est vraiment une série qui met les femmes à l’honneur ; il ne reste d’ailleurs presque plus qu’elles au générique ! Toutefois, Arya et Brienne ont une singularité car elles refusent la séduction hétérosexuelle et, évidemment, le rôle de reproductrices. Dès la première saison, lors d’une séance d’escrime, Arya Stark explique à son père, qui la voyait à la tête d’une lignée de petits princes et princesses : « ce n’est pas moi » 1. Brienne suscite l’ironie (et la terreur) par son côté brut et « hommasse ». Mais elle se laisse tout de même aller à un moment de séduction, voire d’érotisme, avec Jaime. Arya, de son côté, a décidé dès le départ qu’elle n’était pas intéressée par la séduction, et son destin est bien plus individualiste. Brienne est un personnage profondément altruiste qui dès le départ se met au service de Renly, puis de Catelyn. Elle se caractérise par la loyauté (qualité de connotation viriliste) et le désir de sacrifice, tandis qu’Arya est une véritable héroïne, mystérieuse. L’une et l’autre ont perdu leur mère et doivent en quelque sorte se re-créer.
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