Quels droits pour les sans-papiers ?

Etienne Tassin, propos recueillis par Suzi Vieira publié le 6 min

Le Parlement européen a adopté, le 18 juin dernier, la directive « retour » sur l’expulsion des clandestins. Derrière la polémique, une question redoutable : sans citoyenneté, quel est le statut légal d’un être humain ?

La polémique

Votée par les députés européens, la directive « retour » vise l’harmonisation des législations nationales, souvent différentes, applicables au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier avec, à terme, le souhait de forger une politique européenne d’immigration. Elle établit des standards minimaux en matière de durée de rétention et d’interdiction de retour, avec un certain nombre de garanties juridiques (lire ci-dessous). Ses partisans rappellent que plusieurs pays membres, comme la Suède ou le Royaume-Uni, ont une durée de rétention illimitée, d’autres ne garantissent aucune aide juridique pour les clandestins (Grèce). Patrick Gaubert, député du parti populaire européen (PPE) et vice-président de la sous-commission des droits de l’homme s’est ainsi félicité « de l’adoption d’une directive qui va élever le niveau de protection dans les États membres où il est au plus bas », ajoutant que l’Europe exprimait enfin de la sorte une position claire sur cette question : « Nous voulons accueillir des immigrés, certes, mais nous voulons le faire dans des conditions dignes. » Le texte a pourtant été critiqué par des organisations internationales, par l’ancien Premier ministre et député européen Michel Rocard, par l’ancien président de la commission Jacques Delors et par Louise Arbour, responsable de la commission Droits de l’homme aux Nations unies.

Dans l’article paru dans Le Monde (18 juin), Jacques Delors et Michel Rocard s’interrogent sur la pertinence « pour la première procédure de codécision sur l’immigration, de commencer par un projet relevant du volet répressif, avant même qu’aient été débattues et déterminées par les 27 États membres les conditions d’accueil et d’intégration des étrangers non communautaires ». Mais les dispositions les plus controversées du texte portent sur la durée de rétention, sur l’interdiction de réadmission et sur les articles relatifs aux mineurs non accompagnés. Les associations de défense des droits de l’homme jugent disproportionnée la durée de rétention autorisée (6 mois, extensible de 12 supplémentaires dans certains cas) en regard du temps nécessaire pour organiser le renvoi d’un étranger (en France, une dizaine de jours). Par ailleurs, si le texte garantit « l’accès à l’éducation » des mineurs et incite à prendre en compte « l’intérêt supérieur de l’enfant », il autorise l’expulsion des mineurs non accompagnés vers des pays où ils n’ont pas de famille s’il y a sur place des « structures d’accueil adéquates ». Enfin, Jacques Delors et Michel Rocard jugent que « l’instauration d’une interdiction de retour sur le territoire européen durant cinq ans pour les personnes expulsées tend à les stigmatiser comme coupables d’un délit dont il faut les punir », quand celles-ci n’ont souvent fait que fuir la misère de leur pays. « Le symbole ne semble pas des plus heureux à l’égard de nos amis d’Afrique, du Maghreb ou d’Orient. » Les deux hommes politiques ne s’y sont pas trompés : le tollé est général en Amérique latine et en Afrique, où cette décision a donné lieu à de nombreux commentaires.

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