“On présente souvent la solitude comme quelque chose de triste. Or, j’aime être seul, est-ce normal ?”

publié le 2 min

Question de Pierre Renard.

Cher Pierre, peut-être y a-t-il, dans votre plaisir à être seul, une lucidité quant à la vérité de la condition humaine : nous sommes seuls et le resterons. Nous sommes seuls face à notre conscience comme nous sommes seuls à être ce que nous sommes. Nous serons seuls le jour de notre mort, écrivait Pascal – qui était pourtant croyant –, comme nous sommes seuls à ressentir ce que nous ressentons de cette manière qui n’est qu’à nous. Il n’y a rien de triste à cela : j’y vois même plutôt une occasion de réjouissance, la marque de notre unicité, et peut-être même de notre singularité. Sans cette solitude, nous serions incapables de moralité : même si je suis bien entouré, c’est le dialogue entre moi et moi-même qui fait de ma personne un être moral. Sans cette solitude, nous serions incapables aussi de réfléchir vraiment : la pensée, soutenait Platon, est le « dialogue de l’âme avec elle-même ». Il faut que je sois seul pour que je puisse éprouver en moi la présence du multiple, entendre toutes ces voix discuter entre elles. Bien sûr, il faut aussi que je sois avec les autres pour pouvoir me développer, argumenter et progresser, mais c’est là tout le paradoxe de cet étrange animal : l’homme est seul, et c’est en même temps un être de relations, qui ne peut actualiser son humanité que par le lien aux autres. L’homme est bien, comme l’a affirmé Aristote, « un animal politique », un être qui, sans la relation aux autres, se trouverait comme déchu de son humanité. Mais cela ne l’empêche pas de demeurer essentiellement – ontologiquement – seul face aux enjeux de son existence et à l’impératif de devenir soi. D’ailleurs, c’est peut-être cette expérience partagée de la solitude essentielle qui nous rapproche le plus, nous permet de prendre la mesure de notre appartenance à une communauté des hommes. Peut-être que je suis seul, mais je ne suis pas seul à être seul. Nous sommes seuls : nous sommes tous seuls. Et c’est pourquoi nous sommes ensemble. Cette manière d’être ensemble – qui peut prendre une forme esthétique, érotique, religieuse… – est peut-être la plus belle, la plus haute qui soit : nous mettons en commun nos solitudes sans nous leurrer pour autant sur le fait que nous n’en sortirons pas. Voilà qui fait du bien, nous protège de l’isolement ou de l’esseulement, à ne pas confondre avec la solitude.

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