New Order : et ça repart
« Pour un groupe habitué à recommencer, il y avait une certaine audace à entamer son concert par un faux départ. Hier soir, à peine au bout de quelques secondes de Crystal, Bernard Sumner du groupe anglais New Order s’excusait auprès du public du Zénith de Paris : “J’ai pas pris la bonne tonalité.” Et de reprendre, parce qu’après tout, c’est ce que le groupe fait depuis plus de quarante ans.
Crystal est d’ailleurs de ces chansons qu’on écoute difficilement assis au fond d’une chaise sans avoir la bougeotte. Placée en ouverture de l’album Get Ready qui signait le grand retour de New Order en 2001, après presque dix ans d’absence, elle prévient immédiatement : “We’re like crystal / We break easy” (“Nous sommes comme du cristal / Nous nous brisons aisément”). Attention, fragile. L’album sort fin août, alors que la lumière d’un été pas encore caniculaire commence à faiblir. À peine deux semaines plus tard, les tours du World Trade Center s’effondrent. En matière de faux départ pour un siècle nouveau, on fait difficilement plus dramatique et glaçant. À l’époque, on achetait encore des CD. Celui de Get Ready trônait en haut de la pile de ma mère qui devait avoir besoin d’une bande-son entraînante pour passer le message à sa fille de 13 ans : “Tiens-toi prête.”
New Order est le spécialiste des débuts, des recommencements. Il suffit de prendre l’entame de chacun de leurs albums pour avoir une sorte de best of, d’assemblage de morceaux désormais cultes. Age of Consent sur Power, Corruption and Lies (1983) par exemple, qui balance l’air de rien un riff de guitare faussement badin, du genre à agiter les jambes et la tête pour une épilepsie contrôlée. Vous pouvez bien calmer le jeu avec des synthés lyriques, les gars, on a compris le message : il faut que ça bouge. Ou encore Dreams Never End qui entame Movement, le premier album du groupe paru en 1981. Sur ce coup-là, rien de moins qu’une aube nouvelle est en jeu, après la tragédie.
En cette décennie qui s’ouvre à peine, New Order renaît de ses cendres. Joy Division avait disparu avec le suicide de son chanteur Ian Curtis à l’âge de 23 ans, mais New Order continuerait avec les membres restants. L’effroi et le chagrin ne l’emporteraient pas, on continuerait à faire des rêves qui n’en finissent jamais. Comment se relever après un tel événement, comment redémarrer, si ce n’est démarrer tout court ?
C’est la question qu’explore Claire Marin dans son dernier essai, Les Débuts. Par où recommencer ? (Autrement, 2023). “On peut parler d’un début quand le monde paraît changé, quand je ne le regarde plus de la même manière. J’y vis avec la sensation d’une nouvelle dimension, comme si je découvrais une nouvelle pièce dans ma propre maison, j’y ressens une autre intensité, comme si les sonorités étaient plus franches, le réel aiguisé”, constate-t-elle dans les premières pages de l’ouvrage. Les débuts sont affaire d’impression subjective : quelque chose s’est transformé avant tout pour nous-mêmes, une fracture s’est produite qui nous entraîne sur un nouveau chemin, nous l’impose même parfois.
Album après album, New Order s’est attelé à chercher “cette puissante sensation de moi-même” que produisent les débuts, “l’exaltation, le rythme avec lesquels ils me saisissent”. Parce qu’il faut bien continuer à vivre, mais qu’il faut aussi parfois achever, le groupe originaire de Manchester a tiré sa révérence hier soir après un rappel entièrement consacré à Joy Division. Atmosphere (1980) et sa batterie implacable a dressé les cheveux de toute la salle : “Endless talking / Life rebuilding/ Don’t walk away…” »
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