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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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Francfort-sur-le-Main (Allemagne), le 16 février 2024. Photo d’Alexeï Navalny, à un mémorial improvisé devant l'ancien consulat russe dans la ville de Francfort. © AFP

Navalny a été tué, mais il n’est pas mort

Michel Eltchaninoff publié le 19 février 2024 4 min

« En apprenant sa mort, vendredi, j’ai été bouleversé comme lors de la disparation d’un proche. Je me suis dit que je n’entendrai plus son célèbre “Salut, c’est Navalny”, ses blagues, ses mots lancés comme des flèches contre le “papy dans son bunker” (Poutine) et “le parti des escrocs et des voleurs” (Russie unie). Éberlué, j’ai regardé une vidéo tournée la veille de sa mort. Lors d’une comparution judiciaire dans sa colonie pénitentiaire, il est là, bien campé, la voix forte, il provoque, blague, rigole. Même le gardien et le juge ne peuvent réprimer un sourire. Le lendemain, on annonce sa mort après un supposé malaise. Les autorités ont bien tué Alexeï Navalny. Pour autant, ont-elles gagné ?

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Lorsqu’il est rentré en Russie début 2021, après son empoisonnement, Navalny a fait un pari à la Mandela. Il savait pertinemment qu’il allait passer des années en prison, mais que lorsque le régime tomberait, il deviendrait le premier président de la Russie libre. Puis Poutine a lancé sa guerre totale. On a alors compris que la vie de l’opposant ne tenait plus qu’à un fil. La violence généralisée autorisait sa mise à mort. Je pensais que le Kremlin allait, de façon sadique, faire durer son supplice, en agissant sur sa santé afin qu’il ne puisse plus raisonner, parler, se déplacer, afin d’en faire une loque. En optant pour une solution plus expéditive, le pouvoir n’a pas pu l’empêcher de mourir debout et sans altération de sa personnalité. Ils a tué Navalny, mais n’a pas réussi à le faire plier.

Qui gagne, au fond, dans cette histoire atroce ? À première vue, c’est Vladimir Poutine. L’opposant acharné, qui avait récemment appelé les Russes à manifester le jour des élections, mi-mars, et dont les messages ou les vidéos continuaient de circuler, ne gênera plus. En apparence, la stratégie de Navalny a échoué. Dans un film qui lui a été consacré, l’opposant envisage la possibilité de son assassinat et l’interprète comme un aveu de faiblesse de la part du pouvoir : “Cela veut dire que nous sommes incroyablement forts à ce moment, s’ils ont décidé de me tuer. Nous devons utiliser cette force.” Qu’en est-il ? Ce matin une amie m’envoie des photos d’un mausolée improvisé à Moscou. Elle m’explique que les forces de l’ordre sont massivement présentes et qu’elles prennent en photo tous ceux qui déposent un bouquet ou allument un cierge. Elle me dit aussi que ceux qui veulent honorer la mémoire du défunt sont rares : “Ils ont peur.” Depuis vendredi, d’ailleurs, les fleurs sont régulièrement jetées dans des sacs poubelle et les manifestants trop actifs arrêtés. J’ai jeté un œil sur les sondages indépendants (à prendre tout de même avec des pincettes) : début 2023, 9% des sondés approuvaient l’action de Navalny, contre 57% qui la désapprouvaient – sans oublier les 23% qui disaient ne pas connaître cet homme, dont les médias parlent le moins possible, et dont Poutine ne prononce jamais le nom. Le rouleau-compresseur de la violence d’État et de la propagande écrase sans pitié la colère des démocrates. La mort de l’opposant ne provoquera pas, du moins dans l’immédiat, de révolution citoyenne.

Poutine a-t-il remporté son duel ? C’est beaucoup moins évident qu’il n’y paraît. Premièrement, s’il a voulu le tuer maintenant, c’est qu’il a certainement eu peur que sa réélection soit perturbée. Deuxièmement, les démocrates sont-ils définitivement écrasés ? Je ne le crois pas. Pour être digne de sa mémoire et de son sacrifice consenti, les partisans de l’opposant n’auront d’autre solution que de poursuivre son combat. Sinon, cela signifierait qu’il est mort pour rien. Ils ne le feront pas forcément en sortant dans les rues maintenant. Mais n’oublions pas une chose essentielle :  Navalny et ses équipes, toujours actives, se sont fait connaître en publiant des enquêtes sur la corruption des élites politiques. Avec l’aide de médias d’investigation tels Bellingcat, ils avaient publié une extraordinaire enquête sur l’empoisonnement du leader de l’opposition, ridiculisant les services secrets russes. Ils vont continuer, car un nouveau champ d’enquête, essentiel, s’offre désormais : qui a tué Navalny, et comment ? La nouvelle affaire Navalny ne fait que commencer.

Or mener des enquêtes n’est pas uniquement un travail de journalistes. Comme le montre John Dewey, c’est une tâche politique, qui consiste à faire coopérer des centaines de citoyens dans la quête d’une vérité parfois dissimulée. Le philosophe américain insiste, dans Le Public et ses problèmes, sur la nécessité d’un “art de la communication subtil, vivace et réceptif” afin d’intéresser tous les citoyens à ces investigations. C’est précisément ce que savent faire les équipes de Navalny, par exemple avec la fameuse enquête sur le “palais de Poutine”. Et comme la démocratie, ajoute Dewey, ne peut naître dans une société que d’un travail collectif mené de façon indépendante, la voie que pourront suivre les citoyens russes révoltés par leur président devient claire. Ils peuvent se faire enquêteurs, contributeurs et relais du travail d’investigation autour de la mort d’Alexeï Navalny. C’est ainsi que se forme ce “public”, actif, qui est la condition d’une vie démocratique possible.

Aujourd’hui, les partisans de l’opposant sont sonnés, en Russie comme ailleurs. Mais une nouvelle exigence se présente à eux : pour se montrer digne de son sacrifice, ils inventeront de nouveaux moyens pour déstabiliser la verticale du pouvoir. Le premier message qui a circulé après l’annonce du décès était “Navalny n’est pas mort, il a été tué”. Le suivant sera peut-être : “Navalny a été tué, mais il n’est pas mort.” Le duel entre le dictateur et l’opposant est loin d’être terminé. »

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