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Jean-Luc Godard, en 1990. © Niklaus Stauss/Akg-images

Mon Godard

Michel Eltchaninoff publié le 13 septembre 2022 3 min

Début 1992, juste après l’implosion de l’URSS, notre rédacteur en chef Michel Eltchaninoff, alors en mission pour l’ambassade de France à Moscou, fut pendant une semaine l’accompagnateur de Jean-Luc Godard, lors du tout premier voyage en Russie du cinéaste. Dans notre billet du jour, il nous livre ses souvenirs et ses réflexions sur ce « génie gentil » du cinéma.

 

« Cela se passait dans un hôtel fonctionnel d’une avenue de la périphérie de Moscou, en février 1992. J’étais alors coopérant au service culturel de l’ambassade de France à Moscou. Mon rôle était d’accompagner le cinéaste lors de ses déplacements. Vous imaginez mon excitation – j’avais vu tous ses films et il était l’une de mes idoles. Jean-Luc Godard effectuait là sa première visite dans la patrie du socialisme, avec quinze de ses films en 35 millimètres sous-titrés en russe. À son arrivée à l’aéroport, il me demanda, visiblement angoissé, s’il fallait donner des pourboires à ceux qui portaient ses valises. “Non, pas en pays socialiste”, lui répondis-je, narquois. J’ai passé plusieurs jours avec lui, de plus en plus éberlué par son comportement.

Face aux étudiants de l’école de cinéma de Moscou, avides de connaître son avis sur la fin du communisme, il a surtout parlé de Tchekhov ou de Tolstoï. Je me souviens encore d’une de ses paroles, qui m’a marqué : “La Russie est le seul pays où l’on peut encore raconter des histoires.” Des histoires de bouffons, de saints, de criminels et d’épouses adultères qui finissent par se jeter sous un train. Il pensait certainement aussi à l’étonnante faculté des Soviétiques – et du gauchiste qu’il avait été – de se raconter des histoires, mais il a été discret là-dessus. Il pensait déjà à un prochain film, Les enfants jouent à la Russie (1993). L’épisode qui m’a le plus surpris s’est déroulé sur la place Rouge. L’historien du cinéma Naoum Kleiman, mémoire du 7e art, avait accepté de lui servir de guide. Face à la Cathédrale Saint-Basile, Naoum a proposé une explication sémiotique de la disposition des coupoles multicolores. Vues des murs du Kremlin, elles formaient une structure symétrique et ordonnée. Vues de la place, elles offraient un ensemble ascensionnel symbolisant l’unité du peuple. Mais de l’autre côté, elles se bousculaient dans un immense désordre. C’était brillant. Or, Jean-Luc Godard regardait vers le ciel et n’écoutait pas. Visiter la ville, découvrir ses monuments, ses rues, son passé, leur signification, ne l’intéressait pas. Interrompant son guide, il dit : “Allons au musée du Cinéma.”

Ça tombait bien, c’était le royaume de Naoum. Ce grand spécialiste d’Eisenstein y formait une génération de cinéphiles. Le maître de la Nouvelle Vague avait financé l’installation d’une salle équipée en Dolby Stéréo, ainsi qu’un équipement vidéo high tech. Là, Godard était bien. Il ne voulait plus en sortir. Il inspectait la salle de projection, testait le son, et regarda un film inédit de Dziga Vertov, le cinéaste communiste des années 1920 qu’il adulait durant sa période gauchiste.

Godard était ainsi. Sa patrie véritable, c’étaient les salles des machines qui constituaient pour lui le cinéma, et qui permettaient de faire jaillir “la vérité vingt-quatre fois par seconde”. S’il ne voulait même pas jeter un œil sur Moscou, c’est que se bousculaient en lui les figures d’Anna Karénine et de L’Idiot. C’était la première fois de ma vie que je côtoyais un génie, au sens que Kant donne à ce terme : “Un talent qui consistait à produire ce pour quoi aucune règle déterminée ne se peut indiquer – il ne correspond pas à une disposition qui rendrait apte à quoi que ce soit qui puisse être appris d’après une règle quelconque.” Kant conclut : “Par voie de conséquence, l’originalité doit être sa première propriété”, même “une originalité de l’absurde”.

Et malgré sa terrible réputation, Jean-Luc Godard était un génie gentil. En me quittant, il m’offrit un couteau suisse gris et mat. Des années plus tard, je le trimballais encore dans ma poche. Avec mes amis, j’appelais ce fétiche “mon Godard”. Je l’ai perdu il y a quelque temps. Aujourd’hui, j’ai perdu mon autre Godard. »

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