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Une Sérotine commune (“Eptesicus serotinus”). © Mario Cea Sanchez/Biosphoto/AFP

Biologie

Les chauves-souris ont-elles une sexualité “contre nature” ?

Octave Larmagnac-Matheron publié le 05 décembre 2023 4 min

Les Sérotines communes, une espèce de chauve-souris, se reproduisent sans pénétration. Et pour cause : le sexe du mâle est beaucoup trop grand ! De quoi enfoncer le clou : comme le montre Michel Foucault, la nature ne peut constituer une norme pour la sexualité.


 

  • Les Sérotines communes (Eptesicus serotinus) sont confrontées à quelques difficultés en matière de sexualité : le pénis du mâle de cette espèce de chauve-souris est trop important (sept fois plus long que le vagin) pour pénétrer la femelle. Impossible, dans de telles conditions, de se reproduire « comme les autres ». C’est ce qu’expliquent les auteurs d’une étude récemment parue dans la revue scientifique Current Biology. Qu’à cela ne tienne : les chauves-souris ont trouvé la solution. À la manière de certains oiseaux, le mâle utilise son membre comme un « bras copulatoire » qu’il frotte à la vulve de la femelle. On parle d’« accouplement par contact », qui peut durer plusieurs heures ! Une drôle de technique qui rappelle combien, s’il faut chercher une norme dans la nature, celle-ci est plutôt du côté de l’anormal, de la bizarrerie.
  • Et pourtant : force est de constater combien le partage du naturel et du contre-nature a souvent servi de critère pour juger de la sexualité. Michel Foucault souligne que l’histoire est traversée par des dynamiques plurielles de normalisation de la sexualité qui partagent une stratégie commune : pour fixer ses règles et éliminer les « déviances », « on va […] naturaliser la sexualité. Lui donner “droit de cité” dans une nature qui est en fait l’idéologie de la cité », écrit le philosophe dans La Sexualité (posthume, 2018). N’est « normale », donc acceptable, qu’une sexualité « naturelle ». Le discours social sur le sexe s’hybride dès lors à celui des naturalistes. « Le savoir de la sexualité sera “science naturelle” et “connaissance normative” », analyse encore Foucault. Les découvertes de la biologie influencent les représentations sociales de la sexualité. Mais l’horizon d’établissement des normes d’une sexualité dite normale polarise plus encore la recherche scientifique.
  • Qu’est-ce donc qu’une sexualité normale et naturelle ? Difficile à résumer, car ses contours ont largement varié au gré des reconfiguration du couple formé par la norme sociale et la science de la nature. Certains éléments semblent récurrents. En général, la sexualité « n’est naturelle que dans la mesure où elle est procréatrice ». Pas de sexualité pour le plaisir à des fins non reproductives. Les animaux – miroir par excellence de la naturalité – ne sont-ils pas la meilleure preuve de cette normativité naturelle, qui ne s’accouple apparemment que pour se reproduire ? S’ensuit une autre caractéristique : « La pénétration sexuelle est la règle interne de naturalité qui va permettre de séparer les actes sexuels en naturels et non naturels » – puisque reproduction implique, considère-t-on, pénétration.
  • Les observations récentes de la science contestent cette naturalité de la pénétration. De nombreuses espèces, nous le savons depuis longtemps, se reproduisent sans pénétration. Mais il s’agit en général d’espèces éloignées de nous (des poissons par exemple). La chauve-souris, en dépit de son aura de mystère, de son existence nocturne et aérienne, est un parent beaucoup plus proche. C’est un mammifère, qui pratique le sexe non pénétratif. Le frottement prolongé de la chauve-souris, il est vrai, s’inscrit pourtant toujours dans l’horizon reproductif de la sexualité. Mais il est bien des raisons de penser que cette réduction de la sexualité à la reproduction n’a rien d’une norme naturelle. Foucault, déjà, observait combien les comportements sexuels des animaux manifestent bien d’autres aspects, mobilisent bien d’autres dynamiques corporelles et psychiques que le seul acte de reproduction. « Chez les animaux, l’activité sexuelle déborde très largement, dans son déroulement réel, l’acte procréateur. […] Les déterminations du comportement sexuel sont beaucoup plus nombreuses et complexes qu’on le croit. Le déroulement du comportement sexuel comprend beaucoup plus d’épisodes que ce qui prépare directement et accomplit l’acte sexuel lui-même […] On cherchait dans la biologie et la psychologie animale un modèle purement instinctif de la sexualité ; paradoxalement, on a trouvé, malgré le caractère en effet instinctif de cette activité, une activité globale qui met en jeu tous les liens de l’individu à son milieu de comportement. »
  • Des recherches récentes semblent attester, plus radicalement encore, de pratiques sexuelles à des fins strictement non reproductives dans le règne animal. Masturbation, sexe oral chez le bonobo ou l’orang-outan, rapports homosexuels (observés chez au moins 471 espèces), etc. : les exemples ne manquent pas, qui soulignent combien, en matière de normativité, la nature multiforme est en général une bien piètre référence.
  • Il est symptomatique, pour Foucault, que la modernité se caractérise, concernant la sexualité, par un appel particulièrement exacerbé à la nature. La sexualité humaine n’est pas la sexualité animale : elle est bien davantage médiatisée par un ensemble de rapports symboliques et fantasmatiques. C’est tout particulièrement vrai dans le monde contemporain, où les instances de régulation de la sexualité ont perdu de leur force : « Ce qui caractérise la sexualité moderne, ce n’est pas d’avoir trouvé […] le langage de sa raison ou de sa nature, mais d’avoir été [...] “dénaturalisée” – jetée dans un espace vide où elle ne rencontre que la forme mince de la limite […] Nous n’avons pas libéré la sexualité mais nous l’avons, exactement, portée à la limite : limite de notre conscience [...] limite de la loi [...] limite de notre langage. » Mais l’on voit que toutes les tentatives pour renaturaliser la sexualité se heurtent à l’irrégularité de la nature. Notamment chez les chauves-souris.
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