L’avion a-t-il du plomb dans l’aile ?
L’avion a fait rêver. À présent, il embarrasse. Nous sommes passés du miracle technique à la flygskam, terme suédois signifiant la « honte de voler ». C’est tout un imaginaire mais aussi une manière de penser le tourisme que la sobriété aérienne vient transformer. Comment repenser notre manière de voyager ? Attachez vos ceintures, décollage immédiat !
Une longue coquille grisâtre dotée de minuscules roues rivées au sol : n’en déplaise au chanteur Charlélie Couture, « un avion sans ailes » ne ressemble pas à grand-chose. Une telle amputation, ne serait-ce que métaphorique, ôterait à la machine toute sa superbe. Dans L’Air et les Songes (1943), le philosophe Gaston Bachelard explique que les ailes ont joué un rôle décisif non seulement sur le plan technique mais aussi dans nos imaginaires. Voler est d’abord un vieux rêve, un désir fou, longtemps resté abstrait. Avant l’avion, le vol était pensé à travers l’image de « l’Homme oiseau » serti de plumes. Les ailes d’acier ont transformé la forme de ce rêve : « l’image d’Icare » est devenue une grande machine « éminemment rationnelle ». Nous sommes passés du « vol onirique » à un projet technique et concret. Là où le poète antique s’imaginait oiseau, l’homme moderne s’est fait pilote.
Avec l’aviation, le rêve de vol s’humanise. Dans son livre Terre des hommes (1943), l’écrivain et aviateur Antoine de Saint-Exupéry raconte ce moment précis du décollage où « le pilote ferme les mains sur les commandes et, peu à peu, dans ses paumes creuses […] perçoit ce pouvoir comme un don ». Mais ce don possède une dimension humaine. « Les organes de métal des commandes […] se font les messagers de [la] puissance » de l’homme, poursuit l’auteur pilote. L’aviateur est relié à l’avion, qui est pour lui une « chair vivante ». La technique de vol est le fruit d’une union organique et mystérieuse entre l’homme et la machine.
Puis le ciel est devenu un métier. Pour Saint-Exupéry, la contemplation céleste prend une tout autre dimension lorsqu’elle a lieu depuis la place du pilote : « Ces couleurs de la terre et du ciel, ces traces de vent sur la mer, ces nuages dorés du crépuscule, il ne les admire point, mais les médite. » Le ciel n’est plus un « simple spectacle ». À l’image du paysan observant les champs, celui qui conduit la machine se doit d’appréhender le ciel en propriétaire, afin d’y déchiffrer « des signes de neige, des signes de brume, des signes de nuit bienheureuse », qui exigent, ou non, des changements de cap. Depuis l’intérieur même des nuages, le pilote invente une nouvelle manière de scruter les cieux.
L’avion change notre rapport esthétique au monde mais ouvre également à une nouvelle forme d’éthique, basée sur la possibilité de tisser des réseaux entre les populations. « Aider à créer et à préserver entre les nations et les peuples du monde l’amitié et la compréhension » : tel était le but de l’aviation civile selon la Convention de Chicago, établie en 1944 afin de coordonner le transport aérien international. Dès les années 1940, l’aviation commerciale était donc envisagée comme une manière de découvrir le monde mais aussi comme une façon de maintenir la paix et l’amitié entre les territoires et les peuples.
Un ciel saturé
Pourtant, le rêve technique s’est emballé. Il existe à présent des applications et des sites comme ADS-B Exchange sur lesquels on peut voir le nombre d’avions qui circulent en temps réel. Au fur et à mesure que la page Internet se rafraîchit, on ne distingue plus ni les mers ni les terres. On peut constater, en un clin d’œil, que la Terre est littéralement en train de couler sous le trafic aérien. En 2018, avant l’épidémie du Covid, 4,4 milliards de personnes ont effectué un trajet en avion.
Cette croissance du trafic, qui a doublé tous les quinze ans depuis les années 1970, est à la racine du problème. Si, pour l’instant, l’aviation ne représente que 2 % des émissions de CO2 à l’échelle mondiale, ces pourcentages sont susceptibles de tripler d’ici à 2050. Et l’avion vert, serait-on tenté de répondre ? Sur ce point, les conclusions du tout dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) indiquent que « les possibilités de réduire les émissions de CO2 de l’aviation par l’amélioration de la technologie ou de l’exploitation des avions sont limitées et incapables […] de réduire le taux d’émission actuel ». Par conséquent, sans baisse du trafic, il est pour l’instant impossible de réguler ou de baisser significativement le taux des émissions de CO2 actuel ou à venir.
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