La petite mort et la grande

Cécile Guilbert publié le 4 min

S’il est toujours louable de « faire retour » sur Bataille à chaque anniversaire le concernant, les commémorations médiatiques ayant accompagné hier le centenaire de sa naissance (1997) et récemment le cinquantenaire de sa mort (2012) ne semblent pas avoir approfondi sa réception.

Au contraire : plus le temps passe et plus s’installe l’impression que cette pensée brûlante débordant à l’infini les catégories convenues de la philosophie semble, au fil du temps, davantage obscurcie qu’éclairée. La faute à l’université ? À la psychanalyse ? À la paresse générale ? À l’embarras de tous avec la parole, le sacré, la littérature dont Bataille écrit qu’elle « est l’essentiel ou n’est rien » ? Après tout, « je n’écris pas pour ce monde-ci » disait-il aussi. Et encore : « Je casse à n’en plus pouvoir le lien qui me lie aux autres. » Mais aussi : « Je suis las d’écrire à l’intention des sourds […]. Pourquoi déranger leurs longs sommeils ? mes livres ? mes projets ? Je ne veux avoir d’autre passion que ma vie libre, que ma danse âpre, spasmodique, indifférente à tout “travail”. Mon indifférence est mon Empire. » Comme quoi, l’incompréhension ne date pas d’hier. Mais comment pourrait-il en être autrement ?

Si toutes les images de ce bibliothécaire toujours bien mis découpent immanquablement son large front, la raie de sa coupe sage, son regard bleu acier, tous ceux qui l’ont connu insistent sur sa voix douce, sa politesse exquise, son onctuosité de prélat. Outre son inquiétante dentition de « bête des bois », il est également de notoriété publique qu’émane de son corps taiseux un magnétisme à l’envers qui gêne, angoisse, fait le vide autour de lui. Drôle de court-circuit. Pas de tout repos, Bataille. D’une compagnie éprouvante. En vertu même de l’intensité de son expérience tourmentée qui fait corps avec sa « mauvaise réputation » : de ses visions obsédantes, enfant, d’un père aveugle paralysé par la syphilis, à ses inlassables virées dans les bordels, ses beuveries, ses débauches, bref, tout le suffoquant substrat de ses récits scandaleux mi-fantasmés mi-rêvés comme Histoire de l’œil, Madame Edwarda, L’Abbé C., Ma mère, tous aimantés par ce qu’il appelle les « régions marécageuses du cul ».

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