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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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Nicolas Poussin (1594-1665), “Le Massacre des Innocents”,1626-27. Huile sur toile, 97 x 132 cm. Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris. © CCØ/Paris Musées

Proche-Orient

Guerres, catastrophes… La mort des enfants, injustifiable scandale

Octave Larmagnac-Matheron publié le 17 octobre 2023 7 min

Depuis l’attaque du Hamas contre Israël et la riposte de l’État hébreu à Gaza, des centaines d’enfants ont été les victimes des affrontements, des deux côtés de la frontière. Un scandale absolu au cœur de l’atrocité, auraient affirmé de concert et en dépit de leurs oppositions, Augustin, Dostoïevski ou encore Marcel Conche.


 

« Le larcin, l’inceste, le meurtre des enfants et des pères, tout a eu sa place entre les actions vertueuses. » Cette affirmation de Blaise Pascal, consignée il y a quatre siècles dans ses Pensées (1669), résonne étrangement avec l’actualité. Difficile de dire exactement à quoi pense le philosophe-mathématicien : aux enfants tués, d’une guerre à l’autre, par des bourreaux se revendiquant de grands idéaux, de valeurs supérieures pour justifier leurs exactions ? Aux récits affolés rapportant, de Carthage ou d’Amérique, le récit de pratiques rituelles au cours desquelles des enfants sont sacrifiés ?

En dépit de son détachement apparent, le propos de Pascal n’est en tout cas pas de cautionner ce relativisme. Il décrit seulement la réalité d’une morale humaine, maintes fois observée dans l’histoire, capable de justifier le pire sous couvert de grandes valeurs. Le philosophe, profondément chrétien, juge à n’en pas douter le meurtre d’un enfant avec autant d’horreur que la Bible, où est dénoncé le massacre des Innocents ordonné par les Romains.

“Alors Hérode, voyant qu’il avait été joué par les mages, se mit dans une grande colère, et il envoya tuer tous les enfants de deux ans et au-dessous qui étaient à Bethléem et dans tout son territoire”

Évangile selon Matthieu, 2:16

De même, lors des conflits ou à l’occasion de catastrophes naturelles qui ôtent la vie à des enfants, leur mort brutale et injustifiée nous saisit d’effroi. Il est possible de dégager trois raisons principales à ce scandale à nul autre pareil.

Les enfants, incarnation suprême de l’innocence

Si le meurtre de l’enfant choque plus que tout autre crime, c’est sans doute d’abord en raison de cette « innocence » : l’enfant, qui entre tout juste dans l'existence, n’a rien fait qui pourrait expliquer de près ou de loin le sort qui s’abat sur lui. Il n’est responsable de rien – pas même vraiment de ses propres actions. Il est frappé par la mort sans aucune raison, de même qu’une catastrophe peut frapper n’importe qui sans motif. Personne, évidemment, n’est responsable d’une catastrophe naturelle.

Mais il est encore possible, pour n’importe quel adulte, qui même dans des proportions insignifiantes a bien dû commettre un jour le mal, de donner sens au drame comme une forme mystérieuse, seulement soupçonnée, de justice. Rien de tel pour l’enfant, vierge de péché. Camus, dans La Peste (1947), fera précisément de la mort des enfants, décimés par l’épidémie, le scandale de tous les scandales.

“La douleur infligée à ces innocents n’avait jamais cessé de leur paraître ce qu’elle était en vérité, c’est-à-dire un scandale. Mais jusque-là du moins, ils se scandalisaient abstraitement en quelque sorte, parce qu’ils n’avaient jamais regardé en face, si longuement, l’agonie d’un innocent”

Albert Camus, op. cit.

Pour les croyants, l’incompréhension totale face à l’origine du Mal

La souffrance des enfants ébranle toute foi dans l’existence d’un ordre secret du monde, d’une théodicée. Dostoïevski le dira le plus clairement dans Les Frères Karamazov (1880).

“Si l’harmonie de l’univers suppose la souffrance et la mort d’un seul enfant innocent, je rends mon billet, je ne veux pas de cette création. […] Je veux rester devant le fait. Il y a longtemps que j’ai décidé de ne pas comprendre. Si je voulais comprendre quelque chose, je trahirais tout de suite le fait”

Fédor Dostoïevski, op. cit.

Même saint Augustin, dans une lettre à saint Jérôme, confesse sa difficulté à croire en un Dieu bon face à la souffrance des innocents.

“Quand on en vient aux peines des enfants, je suis, je l’avoue, dans un grand embarras et je ne sais que répondre. Ne sont-ils pas abattus par les maladies, déchirés par les douleurs, torturés par la faim et la soif, affaiblis dans leurs membres, privés de l’usage de leurs sens, tourmentés par les esprits immondes ? Dieu est bon, Dieu est juste, Dieu est tout-puissant, nous n’en pouvons douter sans folie, mais qu’on nous dise alors pour quel juste motif les enfants sont condamnés à souffrir tant de maux”

Augustin d’Hippone, lettre à Jérôme de Stridon, 415 ap. J.-C.

L’incapacité des enfants à donner un sens à leur souffrance

Si la différence de la catastrophe naturelle aveugle qui tue un enfant est déjà par elle-même scandaleuse, le meurtre de l’enfant redouble l’horreur. Car un tel assassinat est le fait d’hommes qui, même emportés dans la vengeance la plus extrême, continuent d’interpréter leur violence, de lui donner un sens, de l’orienter vers l’ennemi désigné. Le bourreau sait encore ce qu’il fait. Il tue l’enfant sans défense non pour ses actes délibérés mais pour ce qu’il est : non pas une menace réelle, mais seulement un moyen de briser et terroriser ses parents, ses proches, tenus pour responsables de la violence et considérés comme des ennemis.

Même lorsque l’enfant n’est « que » la victime collatérale de la violence des adultes se creuse un écart radical entre l’assassin qui, d’une manière ou d’une autre, comprend la logique de la situation de violence dans laquelle il est immergé, qu’il le veuille ou non, et l’enfant qui en est incapable. Le meurtre de l’enfant marque l’effondrement d’une mesure tacite qui régule normalement, même dans la démesure de la violence, la guerre que se livrent des êtres adultes capables de comprendre ce qui leur arrive.

C’est sur cette dimension de sens qu’insiste tout particulièrement Marcel Conche dans son article « Sur la souffrance des enfants comme mal absolu » (1958). Le texte s’ouvre sur un constat :

“La souffrance des enfants est un mal absolu, une tache indélébile dans l’œuvre de Dieu, et elle suffirait à justifier un pessimisme radical. […] Pourquoi les souffrances d’enfants constitueraient-elles un mal absolu, et non les souffrances d’adultes ?”

Marcel Conche, op. cit.

Conche répond en opposant le cas de l’enfant et celui de l’adulte.

  • « L’adulte, en conférant à sa douleur, lorsqu’elle est privée de sens naturel, un sens sur-naturel, spirituel, a l’étrange pouvoir de transformer le mal en bien. Il adopte en face de sa douleur une certaine attitude, et il lui est toujours possible, en principe, de se comporter vis-à-vis d’elle en héros, en sage, en saint. […] L’adulte supporte le présent à partir de l’avenir et, ayant réfléchi à ce qui compte pour lui et par quoi il décide de se définir, agit ou réagit en fonction d’une unité de direction qu’il a imprimée à sa vie. Il peut toujours décider de souffrir ou qu’il a souffert pour quelque chose. Mais l’enfant souffre pour rien. »
  • « Pourquoi cela ? C’est qu’il n’a pas encore l’usage de la liberté, donneuse de sens. Il lui manque la capacité de prendre du recul par rapport à lui-même et, en s’opposant à lui-même, de se dépasser. […] Les enfants n’ont pas sur leur vie naturelle cet empire qui leur permettrait de la transfigurer. Comme leur souffrance ne peut prendre pour eux un sens, il ne m’est pas permis de lui en donner un. Me substituer à eux, considérer comme acceptable que leur supplice ait sa raison d’être, serait manquer à mon devoir essentiel […] Je dois donc refuser d’admettre la possibilité de la légitimité du supplice des enfants. »

La souffrance de l’enfant – et plus encore son meurtre, auquel l’enfant découvrant à peine le sens de sa mortalité est incapable de donner sens – est absolument injustifiable. « La douleur de l’enfant demeure un scandale pur et simple. » Raison pour laquelle Conche dénonce frontalement, en conclusion de son article, le « fidèle qui, tandis que les petits enfants flambent comme des torches, chante la gloire de Dieu » pour justifier leurs crimes. La souffrance de l’enfant est « inhumaine » : elle frappe un être sans défense non seulement du point de vue matériel, mais du point de vue de sa capacité à interpréter la situation, même atroce, qu’il doit affronter. Tout idéal, toute valeur, toute foi qui prétend légitimer cet injustifiable est, pour Conche, nulle et non avenue.

La condamnation de l’avenir

Il n’en demeure pas moins, affirme Hannah Arendt, que c’est toujours contre les enfants que finit par se diriger la violence, lorsqu’elle se mue en frénésie d’anéantissement de l’autre. Tuer l’enfant, c’est en effet non seulement anéantir des vies, mais c’est encore détruire toute possibilité de transmission de ce qui était, et toute ouverture d’un avenir. Le meurtre de l’enfant, pour le dire autrement, porte en germe une volonté d’éradication génocidaire – tentation morbide de réduire l’autre en cendres, d’empêcher toute continuation et tout renouvellement, et cela traduit un renoncement à sortir de la violence autrement que par l’annihilation.

C’est pourtant par la natalité que devient possible, pour Arendt, l’éventualité d’un dépassement du mal, d’une rupture du cercle de la violence.

“Le miracle qui sauve le monde, le domaine des affaires humaines, de la ruine normale, “naturelle”, c’est finalement le fait de la natalité, dans lequel s’enracine ontologiquement la faculté d’agir. […] Seule l’expérience totale de cette capacité peut octroyer aux affaires humaines la foi et l’espérance”

Hannah Arendt, Condition de l’homme moderne, 1958

Mais les vivants, emportés par la soif du sang, en viennent parfois à maudire cette possibilité que les nouveaux venus parviennent peut-être un jour à coexister autrement, mieux que leurs prédécesseurs. Sous le poids du mal, la violence se ferme alors à l’horizon de la paix, à « la foi et à l’espérance ». Arendt le dit au sujet du totalitarisme, qui se défie de la naissance comme de ce qui ébranle la fixité de l’ordre de terreur qu’il impose.

“La nécessité de la terreur naît de la crainte que, avec la naissance de chaque être humain, un nouveau commencement s’élève et fasse entendre sa voix dans le monde”

Hannah Arendt, Le Système totalitaire, 1951

N’est-ce pas la même chose qui est à l’œuvre, quand le rapport à l’ennemi ne s’envisage plus que sous l’angle de l’extermination, toutes générations confondues – y compris celles à venir ?

Pourquoi la mort d’enfants choque-t-elle plus que toute autre chose ?
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