Descartes contre Hobbes, le combat des chefs

Œuvre centrale de Descartes, les Méditations métaphysiques (1641) ont donné lieu à des controverses philosophiques. Parmi elles, celle soulevée par un autre grand nom de la philosophie, Thomas Hobbes, a mis René Descartes en difficulté.

En 1641, alors qu’il a récemment fait paraître ses Méditations métaphysiques, René Descartes prend connaissance de plusieurs observations que lui adressent des savants de l’époque. Celles-ci étaient attendues. L’auteur du Discours de la méthode, paru quatre ans plus tôt, avait chargé son ami Marin Mersenne de recueillir les commentaires et les critiques. Descartes choisit d’ailleurs d’incorporer les objections du père Mersenne, du mathématicien Pierre Gassendi, du théologien janséniste Antoine Arnauld ou encore de l’éminent philosophe anglais futur auteur du Léviathan (1651) Thomas Hobbes, à la fin de son livre. Les seize remarques de ce dernier, entrecoupées des réponses de Descartes, mettent en scène une étonnante querelle philosophique, dans laquelle celui qui est seulement désigné comme un « célèbre philosophe anglais » remet en question les conclusions cartésiennes relatives à l’âme et à Dieu notamment, suscitant l’agacement manifeste de leur auteur.

“Je suis une promenade”

Les objections de Hobbes suivent la progression des six méditations cartésiennes. La première méditation, qui porte sur les raisons que nous pouvons avoir de tout mettre en doute, semble être la seule que Hobbes admette sans trop de problèmes, tout en ne comprenant pas vraiment son intérêt : « J’eusse voulu que cet excellent auteur de nouvelles spéculations se fût abstenu de publier des choses si vieilles », écrit-il ainsi, déçu. Il juge éculées les considérations de Descartes sur les sens trompeurs et sur la difficulté de distinguer le rêve et la réalité. C’est à la deuxième méditation, relative au cogito et à l’esprit humain, que Hobbes adresse ses premières critiques. À ses yeux, explique-t-il, Descartes a raison de dire que puisque je doute, je pense, et que puisque je pense, j’existe. Plus encore, il est juste de dire que j’existe (notamment) en tant que pensant, en tant que chose qui pense. Toutefois, Descartes se trompe en énonçant que si je suis une chose qui pense, il faut en conclure que je suis « un esprit, une âme, un entendement, une raison ». Pour Hobbes, cela revient à confondre un acte (la pensée) avec le sujet qui l’exécute (la chose qui pense), comme si, finalement, l’on disait « je suis promenant, donc je suis une promenade ». Ce n’est pas parce que j’ai la capacité de faire quelque chose, que ce que je suis doit se rattacher à une substance qui aurait la caractéristique d’accomplir cette chose. Cette objection, puissante et facétieuse, est en lien direct avec l’école de pensée dans laquelle s’inscrit Hobbes, le matérialisme. Pour ce courant, la matière est la réalité fondamentale à partir de laquelle s’explique la vie spirituelle, et le sujet qui pense ne saurait être autre chose qu’un composé de matière, un corps. Selon lui, « une chose qui pense est quelque chose de corporel ».