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Ce lundi 15 juillet 2013 à 9 heures, c’est la rentrée des classes en plein été. Ils sont un bon millier de jeunes gens, des garçons dans leur majorité, à s’être installés dans cet ancien immeuble de l’Éducation nationale situé sur les boulevards extérieurs du nord de Paris. Le bâtiment a été entièrement réaménagé : trois immenses plateaux abritent des ordinateurs neufs. Des dizaines d’étudiants posent leurs sacs à dos et leurs valises dans un hall situé au premier étage : c’est certainement ici qu’ils dérouleront dès ce soir leurs sacs de couchage. Juste à côté, les toilettes sont bordées de douches. Ces jeunes, encadrés par d’autres vêtus d’un tee-shirt noir, vont à la « piscine ». Mais pas pour faire de la natation. Le terme de « piscine » désigne leur mois d’intégration à la dure dans ce nouvel institut d’informatique, l’École 42, créé par l’entrepreneur Xavier Niel, fondateur de Free. Ces étudiants s’apprêtent à être immergés dans un programme de travail accablant et à ne dormir que quelques heures par jour, sur place pour certains. Ils devront résoudre un mois durant des exercices visant à leur faire maîtriser un langage informatique de base, le C. Mais attention, la piscine est également conçue pour sélectionner les meilleurs. Seul un quart d’entre eux – en tout un millier, puisqu’il y aura quatre sessions – sera admis, à la mi-novembre, à l’École 42. Ici, on surnage ou on coule.

Les créateurs de cette école ne la présentent pourtant pas comme un camp d’entraînement pour GI 2.0. Ils voient en elle une alternative à l’enseignement traditionnel et une entreprise sociale, qui s’adresse notamment à tous ceux que le système scolaire a rejetés. Elle est en effet gratuite, ouverte à tous, de 18 à 30 ans. Elle ne requiert aucun diplôme. Aucun diplôme ne sera non plus délivré à la sortie. Durant les une à cinq années de formation prévues, pas vraiment de cours, pas d’enseignement en amphi, pas de professeurs ni de devoirs individuels notés. Mais des projets de groupe à achever dans les temps, sans enseignement préalable, couronnés par une notation horizontale entre élèves (on appelle cela, ici, la notation « peer to peer »)… L’avènement du numérique aurait-il donné naissance à une nouvelle utopie éducative ? L’initiative de Xavier Niel n’est pas une originalité française, elle suit un mouvement plus général de contre-éducation. Aux États-Unis, le milliardaire libertarien Peter Thiel (cofondateur de PayPal et business angel de Facebook) a lancé il y a trois ans le programme « 20 under 20 », qui offre chaque année une bourse de 100 000 euros à vingt étudiants de moins de 20 ans qui acceptent de quitter l’université pour créer leur entreprise. Il considère en effet que l’Université, obligeant les étudiants à s’endetter et rendant impossible toute prise de risque, est au fond inutile, voire nuisible.

Alternative à un système scolaire inadapté…

Quelques semaines plus tôt, nous avions rencontré les dirigeants de l’école dans les luxueux locaux d’Iliad, l’entreprise de Xavier Niel. Nicolas Sadirac, la quarantaine décontractée, le regard très bleu et l’air poupin, a été formé à l’informatique aux États-Unis. Après quelques exploits dans le hacking et la direction de l’école privée d’informatique Epitech, il est désormais à la tête de « 42 ». Il commence par évoquer une nécessité strictement économique à la naissance de cet institut. D’après lui, « 80 % des entreprises ne trouvent pas les informaticiens dont elles ont besoin ». La France, « cinquième puissance économique mondiale mais vingtième dans le domaine du numérique », serait en train de perdre pied dans ce domaine. Mais dès qu’on lui demande d’expliquer les causes d’un tel décalage, la critique de l’éducation à la française se fait plus cruelle. Si peu d’étudiants se tournent vers l’informatique, c’est que notre « culture de l’enseignement ultragénéraliste » en éloigne les jeunes, et notamment les filles : « On dit aux jeunes qu’ils ne peuvent faire de l’informatique que s’ils sont bons en maths. Or c’est faux : la programmation est un domaine créatif plus proche de l’artisanat que des sciences. » Quant aux universités ou aux écoles d’ingénieurs, elles forment, d’après Nicolas Sadirac, de purs chercheurs ou « des managers qui ne savent pas programmer ». Il pointe l’inadaptation de notre système éducatif au nouvel environnement mondial.