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Une équipe cynophile inspecte les bagages de la soute du Boeing 737-8AS de la compagnie Ryanair immobilisé sur le tarmac de l’aéroport international de Minsk (Biélorussie), dimanche 23 mai. © AFP

Géopolitique

Bélarus : la politisation du ciel

Octave Larmagnac-Matheron publié le 25 mai 2021 4 min

Scandale au-dessus de nos têtes : dimanche dernier, le Bélarus (soit la République de Biélorussie) a envoyé un chasseur pour intercepter un avion de ligne en provenance d’Athènes, et à destination de Vilnius en Lituanie, deux capitales européennes, afin de le contraindre à atterrir à Minsk. Le prétexte ? Une alerte à la bombe, selon les autorités du pays. La réalité, pourtant, ne fait pas mystère : l’enjeu était la capture d’un des passagers du Boeing, le jeune journaliste d’opposition Roman Protassevitch. Les réactions internationales ne se sont pas fait attendre : « inacceptable », « abject », « sans précédent ». Pourquoi est-ce si choquant ? Car on pensait que le ciel n’était pas un espace de domination politique. Éclairage avec Carl Schmitt. 

 

  • Souveraineté territoriale. Le philosophe du droit et de la politique Carl Schmitt, gravement compromis dans le nazisme, n’a pas abordé directement la question de l’espace aérien. Cependant, ses analyses sur les « espaces élémentaires différents » que constituent la terre et la mer, notamment dans La Notion de politique (1932), peuvent nous éclairer sur ce qui se passe au-dessus de nos têtes. À ses yeux, la terre est l’espace par excellence du politique, de la « souveraineté territoriale » délimitée par la frontière le long de laquelle l’ami et l’ennemi se font face. Sur terre, ce sont des armées qui s’affrontent, selon le principe de la « guerre régulière ». Dans l’espace circonscrit du territoire, le politique contrôle sa population. Sur mer, tout change, car aucune frontière ne peut être tracée dans les flots. Les adversaires sont toujours en mouvement. La même chose est vraie pour l’air – plus encore peut-être, car au plan horizontal, l’espace aérien ajoute la possibilité d’un déplacement vertical. Ces deux espaces sont traversés de flux que les États ne peuvent pleinement contrôler.
  • Espace aérien. Si l’idée d’espace aérien existe dans le droit international – de même que celle d’eau territoriale –, ses limites sont beaucoup plus flottantes, parce qu’elles ne peuvent être matérialisées et reposent sur des représentations indirectes, cartographiques. La souveraineté de l’État sur ces espaces est, par essence, incertaine, fragile. D’autant plus que ces espaces ne sont pas naturels à l’homme : nous n’y avons accès que par l’entremise d’un outillage technologique, de véhicules. D’une certaine manière, le détournement de l’avion peut être compris comme une tentative d’affirmation d’une souveraineté territoriale aérienne, toujours problématique. Le fait que l’interception se déroule aux limites de l’espace aérien biélorusse est, en ce sens, significatif. Loukachenko affirme ainsi sa volonté d’étendre au ciel le pouvoir souverain que l’État exerce sur sa population.
  • Politisation du ciel. Le modus operandi, cependant, interroge : « piraterie d’État » pour certains, « terrorisme d’État » pour d’autres, quelque chose perturbe les grilles d’analyse traditionnelles. C’est que, note Schmitt, « la terre et la mer [et l’air, sur le même mode que la mer] ont développé non seulement des véhicules stratégiques différents, non seulement des théâtres d’opérations de types différents, mais encore des concepts différents de guerre, d’ennemi et de prise de guerre. » Le mot de « guerre » est, ceci dit, sans doute trop fort pour qualifier ce détournement ; d’ailleurs, l’affaire ressemble plutôt à un acte de politique intérieure (l’arrestation d’un opposant). Il faut pourtant rappeler que, pour Schmitt, la guerre, déclarée ou larvée, est la structure même de la politique, et que son spectre ne disparaît jamais. La politisation d’un espace aérien a, en ce sens, une valeur nécessairement guerrière, car la guerre est le fond de la question de la souveraineté.
  • Guerre irrégulière. Le conflit qui se joue dans l’espace aérien est, pour Schmitt, forcément « irrégulier » : il ne met pas aux prises des soldats, mais s’attaque, en transgressant les lignes frontalières, à « l’arrière » et aux flux de biens et de personnes qui relient l’ennemi à un tiers, via l’interstice aérien ou maritime. La politique de l’air est donc nécessairement ambiguë, car elle ne s’attaque pas directement aux forces de guerre d’un autre État mais à des intermédiaires en général privés (en l’occurrence, la compagnie irlandaise Ryanair), dont on peine à déterminer de quelle souveraineté ils relèvent, en particulier à l’heure de la mondialisation. Ses méthodes sont, par nature, protéiformes et démesurées, parce que l’espace aérien est sans norme, sans nomos [loi]. On ne s’étonne pas, alors, de voir le Bélarus employer des moyens qui sont en général l’apanage des pirates de l’air : les pirates sont chez eux sur la mer comme dans le ciel, ce sont eux qui inventent, sans cesse, les nouvelles pratiques, les nouvelles stratégies de l’existence aérienne. Parler de « terrorisme », au sens littéral de terreur, n’est pas exagéré pour parler de l’indétermination des politiques de l’air : dans le ciel, tout peut arriver.
Quand une dissidente emprisonnée nous parlait du Bélarus de Loukachenko
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