Bac philo : le conseil ultime

« Demain, en France, c’est le bac philo. Il a été quelque peu démonétisé par la réforme, c’est vrai. Mais autant avoir une bonne note et, pourquoi pas, passer un bon moment. Alors laissez-moi vous donner un ultime conseil.

Ce conseil, je l’ai répété comme un mantra à mon fils et à ses copains ces dernières semaines : “Prenez le sujet au sérieux !” C’est tout ? Oui. Et c’est énorme. J’ai été prof de philo et j’ai corrigé des monceaux de copies. J’y trouvais de tout : des plans en deux ou trois parties (il vaut mieux trois, histoire de pousser la réflexion), des problématiques sophistiquées ou absentes, de la paraphrase et des explications tordues, des coups de génie et des perles tout aussi magnifiques. Mais ce que j’appréciais, comme mes collègues, c’était de découvrir des copies où le candidat affrontait la question ou le texte, c’est-à-dire se le coltinait vraiment. À ce moment-là, il se passait quelque chose. Et cette forme d’engagement, de courage presque, me plaisait.

Face à un sujet ou un texte de philo, qui est difficile, abstrait, général, deux attitudes sont possibles. Soit on élabore une problématique de dissertation ou un enjeu en pilotage automatique : on essaie de se souvenir du cours, des références, on bricole un plan, on soigne les transitions, on tâche d’élargir vers la fin (ce qui n’est déjà pas facile du tout). Soit on fait tout ça, dans un deuxième temps, mais on commence par se poser vraiment la question, celle du sujet ou de l’auteur qui a rédigé le texte. C’est ce que j’appelle prendre le sujet au sérieux.

C’est d’abord une question de respect pour celui qui vous la pose. On connaît tous des profs de philo qui sentent que les élèves s’en fichent un peu, pour des raisons diverses (leur épreuve compte peu pour leur moyenne générale, ils ne comprennent pas forcément pourquoi on les torture avec de tels problèmes, ils savent que Descartes ou Hegel ne feront que passer à la vitesse de la chouette de Minerve dans leur existence, etc.). Ça les déprime ou les met en colère. Alors le jour du bac, dites-vous que la question (ou le texte) s’adresse à vous, à vous en tant que personne qui sait réfléchir. Même si la copie est anonyme, le correcteur se dira au moins qu’il n’a pas sué toute l’année pour rien.

Vous allez me dire que “Peut-on être insensible à la beauté ?”, “La vérité n’est-elle qu’une convention ?”, “Le langage permet-il seulement de communiquer ?” ou ce texte de Cournot (qui ça ?) sur le côté non-scientifique de la psychologie ne sont pas des questions que vous vous posez tous les jours en sortant du lycée. Mais la philosophie est justement faite pour ça. D’ailleurs, vos parents ne vous ont-ils jamais enjoints de vous extasier devant tel paysage qui vous laissait parfaitement indifférent ? Je suis certain que vous vous êtes déjà dit que la vérité pour un Français était parfois différente de celle d’un Chinois. Vous avez remarqué que dire “je t’aime” à quelqu’un n’était pas la même chose que transmettre une information. Et, si vous êtes déjà allé voir un psychologue ou un psychothérapeute, vous vous êtes peut-être demandé s’il était un scientifique ou un conseiller de vie. C’est ce que j’appelle prendre le sujet au sérieux.

Cela ne veut pas dire qu’il faut raconter sa vie dans une copie de bac. Mais le correcteur appréciera que vous embrassiez la question, à bras-le-corps. Cela ne suffit pas : il faudra encore une problématique, un plan, des exemples, quelques références. Mais en vous plaçant dans cette attitude qui consiste à essayer de trouver le sujet ou le texte intéressants, et en tâchant de répondre pour vous comme pour autrui, vous faites déjà de la philosophie. Ça tombe bien : c’est ce qu’on attend de vous.

Au fait, un dernier conseil : restez jusqu’au bout des quatre heures, histoire de bien rédiger et de relire attentivement. Vous verrez, dans quelques années – ou quelques décennies –, vous penserez avec nostalgie à ce fameux bac philo. Bon courage ! »

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