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Analyse

Akon City : le chez-soi et l’enracinement

Octave Larmagnac-Matheron publié le 09 septembre 2020 4 min

« Home back home », retrouver un véritable chez-soi chez soi – trois mots aux allures de pléonasme qui résument le projet initié par le chanteur Akon : bâtir une ville nouvelle, futuriste et écologique, sobrement dénommée « Akon City », de 300 000 habitants au Sénégal, pays dont sont originaires les deux parents du chanteur américain de R'n'B et où celui-ci a passé une partie de son enfance. La première pierre du projet évalué à 6 milliards de dollars a été posée le 31 août dernier. Et l’artiste d’expliquer son initiative : « L’une de mes plus grandes motivations, c'est que, quand je suis aux États-Unis, je rencontre beaucoup d'Afro-Américains qui ne comprennent pas vraiment leur culture. J'ai donc voulu construire une ville ou un projet comme celui-ci pour leur donner la motivation de venir voir d'où ils viennent. » Cette smart city, imaginée par l’architecte Hussein Bakri, se veut une ode à la culture ouest-africaine : « Je veux que l'architecture ressemble aux vraies sculptures africaines qu'ils font dans les villages. Les formes sont peut-être bizarres, mais au moins, elles sont africaines. » Un mélange d’ultra-modernité et de tradition censé offrir aux Afro-Américains victimes du racisme systémique un « chez-soi » authentique afin de renouer avec leurs racines. Mais peut-on se sentir chez soi dans un lieu utopique, créé ex nihilo et dépourvu d’histoire ?

 

  • « Le chez-soi est un refuge, un lieu où je suis plus à ma place que partout ailleurs », affirme le philosophe tchécoslovaque Jan Patočka (1907-1977) dans Le Monde naturel comme problème philosophique (1936). Point d’ancrage de notre univers mental, le chez-soi se caractérise par sa familiarité extrême, sa régularité presque mécanique. Il est la partie du monde « où nous nous sentons en sécurité, où il n’y a pour ainsi dire rien à découvrir, où chaque attente a déjà été ou pourra toujours être remplie d’une manière typique ». Le chez-soi implique ainsi, pour Patočka, la lente sédimentation des réflexes du quotidien. Peut-on, alors, se sentir chez soi dans une ville flambant neuve, où toutes les habitudes, les routines, les petits rituels sont à réinventer ?
  • La réflexion de Patočka, si elle apporte des éléments de réponse, décrit toutefois une situation qui demeure purement théorique pour bien des gens, notamment pour les Afro-Américains discriminés qui sont au coeur du projet initié par Akon. Puis-je me sentir chez moi dans un pays où mon identité est soumise à des humiliations et des discriminations systémiques ? Où mon existence même est remise en question de manière répétée ? Où la culture de ma famille n’est pas reconnue ni respectée ? Où ma place n’est pas toujours reconnue ? On comprend alors que certains descendants d’immigrés puissent identifier leur « chez-eux » non à l’endroit où ils vivent, mais à la terre de leurs ancêtres – où, dans bien des cas, ils n'ont jamais vécu, mais où ils s’imaginent pouvoir vivre une vie véritablement épanouie du simple fait qu’ils entretiennent un lien primordial (ou fantasmé comme tel) avec cette terre originelle.
  • Être chez soi implique ainsi non seulement la régularité de la vie matérielle mais aussi l’enracinement dans une communauté, un peuple au sein duquel l’individu se sent reconnu et respecté en tant qu’acteur à part entière de l’histoire collective. Cet enracinement est un « besoin de l’âme », affirme Simone Weil. Reste, cependant, l’épreuve de la réalité : l’idéal d’un ailleurs utopique (c’est-à-dire, littéralement, « nulle part ») peut se révéler décevant, lorsqu’il s’agit de réinventer de fond en comble une nouvelle vie dans un environnement inconnu qui n’est pas toujours tel qu’on se le représentait. C’est, aussi, le sens de la formule d’Akon, « home back home » : le Sénégal est un foyer en devenir, qui doit encore être actualisé pour remplir pleinement ses promesses.
  • Cette volonté de remodeler le foyer pour y trouver sa place est particulièrement forte en Afrique où, comme le note Weil dans l’Enracinement (1949), la colonisation a détruit méthodiquement les traditions, les racines : « Depuis plusieurs siècles, les hommes de race blanche ont détruit du passé partout, stupidement, aveuglément, chez eux et hors de chez eux. Si à certains égards, il y a eu néanmoins progrès véritable au cours de cette période, ce n'est pas à cause de cette rage, mais malgré elle, sous l'impulsion du peu de passé demeuré vivant. Le passé détruit ne revient jamais plus. La destruction du passé est peut-être le plus grand crime. Aujourd'hui, la conservation du peu qui reste devrait devenir presque une idée fixe. Il faut arrêter le déracinement terrible que produisent toujours les méthodes coloniales des Européens. » Pour trouver sa place, encore faut-il que le foyer offre une possibilité d’enracinement.
  • L’Afrique, de ce point de vue, est une terre a réinventer, dans la mesure où son identité a été ébranlée en profondeur. La ville nouvelle d’Akon s’inscrit pleinement dans cette volonté « afrofuturiste » de retisser des liens détruits en puisant dans le passé. Une volonté de retrouver un véritable chez-soi par-delà les oripeaux d’une société encore défigurée et déstructurée par les marques de la colonisation. « Home back home » : il faut activer les potentialités d’un lieu qui n’est pas, encore, pleinement un foyer.
  • Reste à savoir si l’option suivie par Akon, celle de l’utopie, est la plus pertinente pour reprendre le fil d’un passé amputé. Ne risque-t-elle pas, en effet, d’offrir, en lieu et place de véritables racines, une caricature de la tradition ? Comme le souligne Weil, « un être humain a une racine par sa participation réelle, active et naturelle à l'existence d'une collectivité » qui lui préexiste. Nos racines s’imposent à nous, elles ne peuvent être créées de toutes pièces par un acte de volonté. La culture du R'n'B, dont Akon est l’un des principaux représentants, offre peut-être une autre voie : celle d’un métissage créateur navigant entre l’utopie et le déracinement.
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